Allocution de Najat Rochdi Coordonnatrice humanitaire A l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de l’aide humanitaire 19 août 2018 - Bangui

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MBI BARA ALA KOUE

Madame la Ministre de l’Action humanitaire et de la Réconciliation nationale
Mesdames et Messieurs les Chefs de missions diplomatiques et Représentants des Organisations Internationales
Chers collègues Représentants des agences du système des Nations Unies,
Mesdames et messieurs les Représentants des Organisations non gouvernementales,
Chers partenaires,
Chers Invités,
Mesdames et messieurs les journalistes,
Et surtout… mes très chers collègues et amis acteurs humanitaires, mes héros,

Koffi Annan ; une icône de la lutte pour la paix, un humanitaire hors pairs, un leader qui a beaucoup donné au monde. Le monde le pleur depuis hier, ensemble observons une minute de silence en son honneur et en l’honneur de tous les humanitaires qui ont donné leurs vies pour en sauver d’autres.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour célébrer le quinzième anniversaire de l’attaque brutale contre le Canal Hôtel à Bagdad, où 22 collègues ont été tués, un événement tragique qui a ému et bouleversé le monde entier.

Nous sommes ensemble pour célébrer la Journée mondiale de l’aide humanitaire, soutenir les personnes affectées par des crises humanitaires et rendre hommage au courage et au sens de l’abnégation des humanitaires qui fournissent une aide essentielle.

Je remercie les acteurs humanitaires en République centrafricaine pour leur dévouement continu, dans une mission difficile et risquée.

Je voudrais également saisir cette occasion pour remercier le gouvernement pour son engagement sans faille en soutien à l’action humanitaire.

Tout particulièrement, je continue de me réjouir de l’excellente coopération avec ma sœur virginie, Son Excellence la Ministre de l’Action Humanitaire.

Les actes de violence contre les humanitaires et les civils demeurent récurrents dans plusieurs parties du pays frappées d’une insécurité permanente. Je voudrais saluer la mémoire des 29 humanitaires qui ont perdu la vie en Centrafrique depuis 2014.

Cette année, 6 acteurs humanitaires ont été tués alors qu'ils apportaient de l'aide aux personnes dans le besoin, dont le plus récent a perdu la vieil y a tout juste deux semaines à Alindao.

Du début de l’année à la fin du mois de juillet, 205 incidents ont directement affecté les humanitaires, soit un incident par jour.

Les vols et les agressions contre le personnel humanitaire représentent plus de 80% des incidents dont ils sont victimes. Devant ce constat, je veux exprimer ma colère et mon indignation et condamner fermement ces actes abjects car rien ne justifie de tuer celui et celle qui sauve des vies, qui fournit nourriture, santé ou encore abris.

18 organisations humanitaires ont été contraintes de suspendre leurs activités dans une douzaine de localités dans les sous-préfectures de Batangafo, Kaga-Bandoro, Kabo, Bambari, Ippy et Bria.

Je voudrais réitérer ici que lorsque des stocks de médicaments ou de vivres sont pillés, ou que des convois humanitaires sont attaqués et les sièges des organisations humanitaires sont saccagés, ce sont des milliers de personnes qui risquent de ne pas recevoir l’aide dont ils ont absolument besoin.

Alors, en cette journée le silence est complice, si on ne dit toutes et tous, haut et fort, « STOP », les humanitaires ne sont pas une cible.

Les incidents de protection sont également à la hausse. Depuis le début de l’année, le cluster protection a recensé 7 265 incidents de protection à travers le pays, soit plus de 1 000 incidents chaque mois. C’est-à-dire 1000 fois où le droit international a été bafoué et où les populations vulnérables sont atteintes.

Je suis profondément préoccupée par la quantité des risques de protection auxquels les civils sont exposés, notamment : les exactions, les déplacements, les séparations familiales, les enrôlement et utilisations des enfants par les groupes armés, les violences basées sur le genre, l’exploitation et d’autres pratiques telles que l’accusation de sorcellerie, les mutilations génitales féminines et le mariage précoce.

L’augmentation du nombre d’attaques contre les structures civiles continue.

Par exemple, 87 attaques contre le système éducatif dans les derniers 18 mois.

Les personnels de santé et les structures sanitaires sont malheureusement une cible dans ce conflit : cette semaine un personnel de santé a été tué sur l’axe Bria-Irabanda suite aux affrontements dans la zone.

Cette semaine, sur l’axe Ndomete – Mbrès, 153 maisons ont été brulées dans un seul village.

Quel est le sens de tuer des enfants, des civils, d’attaquer les hôpitaux, où les lieux de culte.

Excellence,
Mesdames, Messieurs,

La triste réalité est là : la République centrafricaine est, et reste, l’un des pays les plus dangereux au monde pour les opérations humanitaires alors que plus que la moitié de la population, 2,5 millions de Centrafricains, sont en besoin d’aide humanitaire pour leur survie.

Un centrafricain sur quatre a été arraché de son foyer par la violence.

En 2018, on estime que plus de 110 000 enfants de moins de cinq ans souffriront de malnutrition aiguë (67 942 malnutris aigus modérés et 42 369 malnutris aigus sévères).

Actuellement, on estime que la malnutrition chronique touche déjà 350 000 enfants de moins de cinq ans.

Un nouveau-né sur 7 ne fêtera jamais son 5ème anniversaire.

Un Centrafricain sur deux est en situation d’insécurité alimentaire, dans un pays où 58% de la population pratique de l’agriculture et 67% en dépend pour la production de son alimentation.

De plus, le déficit de pluie observé depuis plusieurs mois laisse augurer une période de soudure particulièrement difficile.

2 Centrafricains sur 3 n’ont pas accès à l’eau potable et à l’assainissement.
Les taux de mortalité infantile, infanto-juvénile et maternelle restent parmi les plus élevés au monde.
Au cours du premier semestre, la scolarité des enfants des localités des préfectures de la Nana Gribizi, du Haut-Mbomou, du Mbomou, de la Ouaka, de l’Ouham, et de la Nana Gribizi, mais aussi de Bangui a été fortement perturbée par la flambée des violences armées.

Environ 279 000 enfants de 3 à 18 ans sont déplacés dont environ 116 000 sont en rupture scolaire.

Dans certaines parties du pays, des déplacés ont choisi de retourner suite à une certaine amélioration des conditions de sécurité et aux initiatives locales de réconciliation.

Cela a été le cas à Paoua où depuis juin 2018, plus de 67 000 déplacés ont choisi le retour dans leurs localités du Nord et de l’Est malgré la subsistance d’incidents de protection.

Cela démontre que les retours sont possibles mais que les conditions pour des retours massifs et durables ne sont pas encore réunies en raison de la persistance des conflits armés et de l'insécurité qu’ils génèrent dans l’ensemble du pays. Dans plusieurs localités, les perspectives d’un avenir meilleur s’amenuisent au rythme de la prolifération des foyers de violence, des incursions des groupes armés, de la criminalité et des déplacements répétitifs.

A chaque nouvelle vague de déplacement, c’est souvent l’espoir qui s’amenuise davantage et c’est la dignité de ces déplacés qui est encore blessée. Alors, encore une fois : pourquoi ?

A chaque fois qu’un agriculteur est obligé de quitter sa terre à la veille de la saison des récoltes, c’est la capacité de sa famille à résister aux chocs, sa résilience qui s’émousse un peu plus.

En effet, tout cela ne nous décourage pas, nous humanitaires car jamais, jamais on n’abandonnera les déplacés, les enfants, les femmes, les hommes… tous les civils pour renforcer leur résilience et préserver leur dignité. Au cours du premier semestre 2018, aux humanitaires de soigner près de 14 000 enfants de 6 à 59 mois souffrant de malnutrition aiguë.

Plus de 740 000 personnes ont reçu une aide alimentaire d’urgence.

Plus de 480 000 personnes ont bénéficié d’un approvisionnement en eau potable d'urgence. Toujours au premier semestre 2018, Plus de 180 000 personnes ont reçus un abri d’urgence.

Afin d’éviter la rupture scolaire, plus de 106 000 enfants ont bénéficié d’activités éducatives dans 240 espaces temporaires d’apprentissage.

Excellence,
Mesdames, Messieurs,

Beaucoup d’espoirs sont fondés sur l’Initiative africaine pour la paix et la réconciliation tant l’avenir du pays est fortement tributaire du retour de la paix et de la réconciliation.

Sans le retour de la sécurité, la stabilité politique et le redéploiement des services déconcentrés de l’Etat en particulier les services de base et la justice, l’action humanitaire continuera certes à répondre aux besoins des populations mais ne peut être considérée comme une solution en soi.

Choisir la paix permettra de bien mener les réformes nécessaires pour relancer le relèvement du pays, reconstituer les moyens de subsistance et recoudre le tissu social.

Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons ensemble passer de l’humanitaire et de la réponse aux urgences au relèvement en s’assurant que la population civile jouisse pleinement de tous ses droits.

Alors STOP aux attaques à la paix, STOP aux tentatives de tuer l’espoir d’une vie meilleure, STOP aux attaques des civils, des écoles, des hôpitaux, des lieux de culte… car ils ne sont pas des cibles.

Je vous remercie