République centrafricaine : Aperçu des besoins humanitaires (janvier 2024)

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Contexte de la crise

Depuis plus d'une décennie, la République centrafricaine (RCA) est affectée par un conflit avec la présence continue de groupes armés. La violence à l'encontre des civils et les effets du changement climatique (inondations) continuent de provoquer des déplacements. Le manque d'accès aux infrastructures socio-économiques de base et aux opportunités socio-économiques oblige les personnes déplacées et les communautés d'accueil à adopter des mécanismes d'adaptation négatifs pour répondre à leurs besoins, ce qui les rend plus vulnérables à l'exploitation et à la violence sexiste qui touche particulièrement les femmes et les filles. L'instabilité dans les pays voisins, notamment aux frontières de la RCA avec le Tchad, le Soudan et le Sud-Soudan , qui constituent les principales voies d'approvisionnement en produits de base pour certaines zones difficiles d'accès, a un fort impact sur l'économie locale.

Démographie et facteurs socio-culturels

Caractéristiques de la population

Une population jeune en constante augmentation. La population centrafricaine est estimée à 6,1 millions de personnes selon les projections faites en 2022 par l’Institut Centrafricain des Statistiques et des Etudes Economiques et Sociales (ICASEES), soit une augmentation de 56% depuis le dernier recensement de 2003. Avec un taux de fertilité de 6,4% (2019), les femmes représentent 51% de la population totale contre 49% d’hommes, et les personnes de plus de 59 ans constituent à peine 4,6% de la population. L’espérance moyenne de vie est de 54 ans contre une moyenne de 58 ans pour l’ensemble des pays voisins. Pour une population majoritairement jeune dont 78% a moins de 35 ans et 50 % moins de 18 ans, la densité de la population en RCA est passée de 6,2 à 9,7 habitants par km² en 20 ans, avec un taux d’urbanisation de 42,5%. Les villes de Bambari, Bangui, Berberati, Bimbo, Paoua et Mbaïki cumulent 39,4% de l’ensemble de la population et sont parmi les localités les plus peuplées.

Les taux de mortalité infantile et maternelle en RCA restent préoccupants à l’échelle mondiale. Malgré le taux de fécondité moyen d’environ 6 enfants par femme en âge de procréer (24,5% de femmes), le taux de mortalité infanto-juvénile (enfants de moins de 5 ans) en RCA est le cinquième plus élevé au monde avec 99 décès pour 1 000 naissances et le taux de mortalité maternelle est le quatrième plus élevé au monde avec 835 décès pour 100 000 naissances vivantes, sachant que seules 40% de naissances sont assistées par un personnel de santé.

De plus, le taux de couverture en consultation prénatale (CPN4) est de 41,4% et seules 52% de femmes ont accès aux visites prénatales contre 58,6% d'accès aux visites postnatales. L’inégale répartition géographique des centres de santé et ressources humaines compétentes à l’échelle nationale explique en partie le niveau critique des indicateurs globaux de santé reproductive, sachant qu’il existe une forte disparité entre le milieu urbain et rural (93% de sage-femmes travaillent en milieu urbain, et 7% en milieu rural où se concentre 60% de la population de RCA).

Diversités et vulnérabilités sociales

La discrimination contre les femmes au niveau de toutes les couches de la société traduit des vulnérabilités existantes dans tous les aspects de la vie quotidienne. Même si un ménage sur deux est dirigé par une femme et malgré l’adoption en 2016 de la loi sur la parité de genre, la RCA est classée 18ème sur 191 pays en termes d’égalité des sexes. Le pays semble encore loin d’atteindre son engagement constitutionnel à atteindre le quota de 35% de femmes dans les instances de prise de décisions à caractère nominatif et électif d’ici à 2026. Selon ONU-Femmes, la RCA occupait le 154ème rang concernant la participation féminine dans les postes électifs.

L’écart dans le traitement salarial reste considérable à l’échelle nationale, avec une différence de 40,6% entre hommes et femmes.

Concernant l’accès aux services économiques, seulement 10% de femmes de plus de 15 ans possèdent un compte bancaire au sein d’institutions financières. Cela montre les disparités entre hommes et femmes en matière d’inclusion financière et traduit un frein quant à leur pleine participation à la vie économique en dépit du fait qu’elle représente une valeur ajoutée dans l’économie informelle.

La protection des femmes et filles en vue de leur autonomisation reste embryonnaire. Les écarts entre les sexes contribuent à des taux élevés de violences basées sur le genre (VBG) : plus de 17 200 cas enregistrés entre janvier-juin 2023, dont 36 % de viols (dont 96% de survivantes sont des femmes et filles), 21% d’agression physique et 21% de violences psychologiques, selon le système commun de gestion d’informations sur les violences basées sur le genre (GBVIMS).

42,5% de ces violations ont été commises contre des enfants, dont 1,5% contre les garçons. Vu l’ampleur de la situation et au regard des femmes et des filles, cela représente un obstacle considérable à la pleine participation des femmes à la vie sociale et économique, mais aussi un handicap au plein épanouissement des filles dans la société centrafricaine. A cela s’ajoutent les violations des droits humains liés aux conflits affectant particulièrement les femmes et les filles. Les Nations Unies ont documenté 146 cas de violences sexuelles liées aux conflits faisant 196 victimes (2 hommes, 90 femmes, 102 filles, 2 groupes de victimes collectives), d'octobre 2022 à septembre 2023, dont 80% de cas de viols.

Si les femmes et les filles sont les plus touchées, les recherches menées par l'ONG internationale ‘All Survivors Project’ (ASP) en 2017-2018 puis en 2023 démontrent que les hommes et les garçons sont également confrontés à des violences sexuelles dans divers contextes, notamment dans le cadre de conflits, en détention et en tant qu'enfants soldats. Les violences sexuelles liées aux conflits continuent d’être utilisées comme arme de guerre en RCA tout au long des récents conflits. Sur la période janvier-septembre 2023, 21% de survivants de VBG sont des enfants (3 664 cas dont 71 garçons), contre 18% (3 093 cas dont 108 garçons) sur la même période en 2022. 4% de victimes de VBG sur la période janvier-septembre 2023 sont des hommes et garçons. Toutefois, les données n’indiquent pas l’ampleur du problème car les hommes et les garçons sont réticents à révéler les incidents de violence sexuelle en raison de la forte stigmatisation dont ils font l’objet de la part des communautés et des prestataires de services.

Le lien entre déscolarisation, vulnérabilité géographique, pauvreté et mariage précoce est bien établi. La durée moyenne de scolarisation en RCA est de 5,3 ans pour les garçons contre 3,8 ans pour les filles, sachant que seulement 36% de jeunes centrafricains âgés de 15 à 24 ans sont alphabétisés (50% de garçons de 14-24 ans sont alphabétisés, contre 31% de filles de la même tranche d’âge). De plus, pour les localités éloignées (comme Sam-Ouandja) marquées par la présence des groupes armés et des difficultés d’accès physique, le taux d’analphabétisme des femmes et des filles est estimé à 90%.

Le taux de mariage des enfants avant 18 ans entre 2006 et 2022 est estimé à 61%, tandis que la prévalence des mutilations génitales féminines (MGF) chez les filles âgées de 15 à 19 ans, entre 2004 et 2021 s’estime à 22%. Le lien entre déscolarisation et mariage précoce est bien établi puisque seules 17% de femmes/filles mariées avant 15 ans sont alphabétisées, tandis que 58% de femmes qui n’ont pas subi de mariage précoce le sont. Ainsi, la persistance des pratiques néfastes à l’égard des femmes et des filles serait liée non seulement à la non-conformité de certaines dispositions des textes, aux instruments juridiques internationaux (l’article 211 du code de la famille permet le mariage des enfants sur autorisation parentale), mais aussi aux pressions sociales et culturelles, à la religion, aux conflits armés, aux déplacements de population, à la pauvreté, à l'insécurité alimentaire et au manque d'accès aux moyens de subsistance.

Les vulnérabilités liées au handicap sont manifestes et renforcées dès la naissance. Les personnes handicapées représentent 15% de la population centrafricaine. La RCA a ratifié en 2006 la Convention relative aux Droits des personnes handicapées et son protocole additionnel, mais sa mise en œuvre n’est pas encore effective. Ainsi, 31% de personnes handicapées interrogées en 2022 dans le cadre d’une étude de l’ONG Humanité et Inclusion (HI) affirment qu’elles font face à des situations de discrimination liées à leur handicap. En RCA, 73,8% de personnes handicapées interrogées ne savent ni lire ni écrire. Souvent exclus des systèmes éducatifs, les enfants handicapés en âge d’être scolarisés vivant dans un contexte de crise n’ont quasiment pas accès aux salles de classe en raison d’infrastructures inadéquates ne prenant pas en compte leurs besoins.