D’une terre hier arrosée de sang germe aujourd’hui la plus improbable des graines : celle de l’espoir

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Le paradoxe de la malnutrition sur une terre fertile

La République Démocratique du Congo a la réputation d’être dotée d’une terre très fertile. Pourtant, plus de 4 millions de personnes souffrent de malnutrition, dont 3,5 millions d’enfants.
A l’Est, la grande insécurité et le mauvais état des voies de communication ne font qu’amplifier ce fléau à l’image du Territoire de Walikale dans la Province du Nord-Kivu. Chaque jour y est un véritable combat pour l’écrasante majorité de la population. Face à ce constat, le Fonds Humanitaire RDC a décidé d’allouer plus de 1,7 million de dollars à l’Association Locale pour le Développement Intégral(ALDI) pour renforcer la protection des civils et améliorer l’accès aux vivres, aux biens et services de base dans les zones affectées par les violences et les conflits armés. Son projet de 22 mois commencé en janvier 2016 vise 20 000 personnes vulnérables de l’est du Territoire de Walikale. A moins de quatre mois de la fin du projet, l’équipe du Fonds Humanitaire a une nouvelle fois rencontré le personnel d’ALDI et les bénéficiaires dans le cadre d’une mission de suivi et d’évaluation du projet à Kashebere et ses environs.

De nombreux ménages vulnérables nous ont ouvert tout grand leurs petites portes. Ils sont déplacés, retournés ou membres de familles d’accueil. Certains ont fait le choix de s’organiser en groupement agricole ou en société paysanne pour optimiser leur travail et maximiser leur production. Dans ce contexte économique, sécuritaire et social particulièrement difficile, ces familles nous ont expliqué combien l’assistance reçue leur avait permis non seulement d’améliorer leur quotidien mais aussi de pouvoir se projeter dans l’avenir

Le Fonds Humanitaire renforce la résilience des plus vulnérables

« L’assistance financée par le Fonds Humanitaire m’a permis de m’extraire de la fosse aux lions »

Accueillis par une chaleureuse poignée de main, Marie-Thérèse nous invite à prendre place chez elle, dans cet abri construit avec l’aide d’ALDI qui lui a permis de « s’extraire de la fosse aux lions », comme elle dit. En janvier 2015, l’insécurité avait forcé cette veuve de 67 ans à fuir Kashebere pour se réfugier à Goma. L’apparent retour au calme l’avait incitée à revenir chez elle fin 2015. A son retour à Kashebere, elle n’avait évidemment rien retrouvé de sa vie antérieure et dormait à la belle étoile comme tant d’autres retournés. Aujourd’hui, entourée de ses petits-enfants, c’est avec le sourire qu’elle nous énumère l’assistance qu’elle a obtenue d’ALDI : deux chèvres, des outils aratoires, un kit hygiénique et un coupon de USD 80 dollars lui permettant de s’approvisionner dans une foire en articles ménagers essentiels (AME) organisée par l’association. Comme tous les ménages bénéficiaires, elle a également reçu 15 kg de semences améliorées et participé à une formation aux bonnes pratiques agricoles qui lui ont permis de maximiser sa récolte dont elle a vendu une partie et conservé une autre pour sa consommation personnelle et pour les prochaines récoltes. Consciente de sa chance d’avoir été sélectionnée comme bénéficiaire de cette assistance, elle a même offert une troisième partie de sa récolte à des ménages qu’elle considérait moins chanceux qu’elle.

Quand l’assistance ouvre de nouvelles perspectives entrepreneuriales Après avoir pris congé de Marie-Thérèse, nous sommes allés à la rencontre de Maurice qui nous a raconté comment en août 2015, il avait assisté impuissant à l’incendie d’origine criminelle de sa maison et de son atelier de couture. Comme tant d’autres victimes des groupes armés et milices, après avoir tout perdu sauf la vie, il a été contraint de quitter son village de Ntoto avec son épouse et leurs six enfants pour trouver refuge à Kashebere, situé à quelque 80 km de leur village d’origine.

Hébergés depuis près de deux ans dans une famille hôte, ils ont bénéficié de l’assistance d’ALDI, notamment à travers la foire en AME qui lui a permis de se racheter une machine à coudre et de louer un petit atelier. Quant à son épouse, comme chaque ménage déplacé, elle a reçu 15 kg de semences améliorées ainsi que des outils aratoires et pris part à la même formation que Marie-Thérèse. Aujourd’hui, ce père de famille de 55 ans, dont la mobilité est très réduite, nous explique avec beaucoup d’enthousiasme la manière dont son quotidien a changé grâce à l’assistance apportée par ALDI. Non seulement il a retrouvé le plaisir d’exercer son métier de couturier mais il a aussi la grande satisfaction de pouvoir l’enseigner à neuf femmes elles aussi déplacées, comme Wivine que nous avons rencontrée. Cette jeune femme de 30 ans, son mari et leurs six enfants avaient eux aussi fui Ntoto aux côtés de Maurice et des siens en août 2015. Grâce aux revenus de son travail, Maurice apporte une aide financière à ses neuf apprenties et économise suffisamment pour envisager de munir chacune d’une machine à coudre. L’épouse de Maurice a, quant à elle, nettement augmenté le rendement de ses récoltes dont les revenus lui permettent désormais de correctement nourrir sa famille et de scolariser leurs six enfants.

« Aujourd’hui, grâce à la formation que j’ai suivie, ma récolte est incomparable à celle d’hier »

Un peu plus loin, c’est Bernadette qui nous a invités à prendre place dans son petit salon. Cette veuve de 45 ans doit subvenir aux besoins de ses neuf enfants et aider les huit déplacés qu’elle accueille. Ces derniers sont venus de Ngenge, non loin de Ntoto, village de provenance de MarieThérèse,
Maurice et Wivine. Dix-neuf personnes vivent donc entassées dans sa petite maison composée de trois petites pièces. Malgré la promiscuité, elle se dit soulagée de l’aide qu’elle a reçue d’ALDI, à savoir deux chèvres, des semences améliorées, des outils aratoires et une formation aux bonnes pratiques agricoles. Avant cette formation, à l’instar de la majorité des cultivateurs, elle ignorait qu’il fallait labourer les champs en profondeur, aligner et espacer les semences améliorées tout en veillant à ne pas les mélanger. « Cette formation nous a beaucoup aidés.

Il n’y a pas de comparaison entre la quantité que je récolte aujourd’hui et celle que je récoltais avant de mettre en application ces enseignements », se réjouit-elle. Dans cette région où l’essentiel des revenus est généré par les produits de la terre, ces changements de pratiques agricoles font leurs preuves et sont des acquis que les cultivateurs continueront à mettre en pratique où qu’ils se trouvent. Bernadette peut désormais assurer trois repas quotidiens à ses enfants alors qu’elle parvenait très difficilement à les nourrir deux fois par jour avant l’assistance apportée par ALDI. Ses six enfants en âge d’être scolarisés ont retrouvé les bancs de l’école grâce aux bénéfices qu’elle a tirés de ses récoltes fructueuses. Grâce aux revenus qu’elle tire de ces dernières, elle achète désormais des vêtements à Masisi qu’elle revend dans son village. Elle ne vit désormais plus au jour le jour ce qui l’incite à tourner chaque jour un peu plus le dos au passé et les yeux vers l’avenir. Elle nous a d’ailleurs confié son intention d’intégrer un groupement agricole ou une organisation paysanne pour unir ses forces à celles d’autres cultivateurs de son village.

L’intérêt croissant pour les groupements agricoles et organisations paysannes

Tout comme Bernadette, nombreux sont les cultivateurs intéressés par ces deux modèles de structures. Dans le village de Kashebere, nous nous sommes entretenus avec des membres du groupement agricole AJASHID qui compte vingtcinq ménages. ALDI leur a offert 16 chèvres, 2 boucs et 75 poules ainsi que des semences améliorées, des outils aratoires et une formation aux techniques agropastorales. Les résultats sont probants : le rendement de leur récolte a beaucoup augmenté, tout comme les revenus générés qui leur ont permis d’enrayer la malnutrition des ménages du groupement, de scolariser leurs enfants, d’accéder aux soins et même d’acquérir neuf moutons. Nous avons également rencontré deux membres de l’organisation paysanne Solidarité pour l’Encadrement et la Lutte contre la Pauvreté (SELP). Cette organisation, composée aujourd’hui de trente ménages, avait vu le jour avant l’arrivée d’ALDI dans la zone, mais avait été fortement perturbée par la grande insécurité. ALDI leur a distribué des outils aratoires, des semences maraîchères et vivrières améliorées ainsi qu’un moulin pour transformer certains produits de leur récolte tels les haricots. Tout comme l’ensemble des bénéficiaires, les membres de l’organisation paysanne ont pu enrayer la malnutrition et scolariser leurs enfants. Avec les gains générés par leur récolte fructueuse, ils ont même pu acheter un terrain pour y construire un centre d’alphabétisation pour les femmes et les enfants qui ne sont plus en âge d’être scolarisés. L’organisation paysanne a également distribué gratuitement une quantité de leur récolte aux ménages non bénéficiaires de l’assistance d’ALDI.

Un an et demi après le lancement du projet, les bénéficiaires ont reçu plus de 10 000 outils aratoires et 8 000 animaux. Leur enthousiasme est palpable tout comme celui du personnel d’ALDI. « Sans l’intervention du Fonds Humanitaire RDC, il nous aurait été impossible d’aider ces 20 000 personnes vulnérables. Ce financement nous a permis, entre autres, de doter nos bénéficiaires d’outils aratoires et de semences améliorées mais aussi de les former aux bonnes pratiques agropastorales. Ces pratiques et connaissances ont considérablement réduit la malnutrition, augmenté les revenus des ménages, consolidé et pérennisé leur résilience », nous explique Roger Lokpatchu, Directeur Général d’ALDI. Aujourd’hui, les bénéficiaires récoltent bien plus que des produits maraîchers et vivriers. Ils cultivent l’espoir et se tournent maintenant vers l’avenir non seulement sans crainte mais avec un enthousiasme des plus contagieux.

Elodie Sabau est Chargée de l’information publique et du plaidoyer pour OCHA RDC à Kinshasa.