La communauté humanitaire sur la ligne de cessez-le-feu dans le district du Tanganyika en RDC

Kinshasa, le 23 mai 2000
Dans une large hutte qui fait office d'église chaque dimanche, des nattes sont disposées de façon manifestement trop éparse pour contenir le nombre de personnes présentes. Beaucoup d'adultes sont représentés par leurs enfants : quasiment nus, leur dignité blessée les empêche de gagner la ville pendant la journée faute d'un morceau de tissu. Une jeune fille s'avance, tête basse, les cheveux clairs de la malnutrition, un enfant dans les bras et une gamelle à la main contenant deux patates douces : c'est le produit de six heures de labeur sur un lopin de terre prêté par un habitant. Une femme nous interpelle pour raconter son histoire, mais doit s'agenouiller au milieu d'une phrase, épuisée par l'effort cumulé que représentent la station debout prolongée et son cri de détresse : comme d'autres, elle est arrivée il y a 13 mois, quelques heures avant la chute de son village aux mains des rebelles. Mère de huit enfants, elle en a depuis perdu trois, trop faibles pour affronter une vie d'enfants déplacés. Dans sa gamelle, un petit bloc de déchets de feuilles de manioc sans huile ni sel : « ce matin, j'ai voulu travailler le champ, mais je n'ai pas pu ». Son mari est caché quelque part, malade. Un homme renchérit : « le fleuve Congo est là, devant nous, mais il est interdit d'aller pêcher car les rebelles, dont vous voyez les tentes sur l'autre rive, pourraient tirer. Les habitants de l'autre côté ne peuvent pas plus pêcher que nous. La peur crée la faim des deux côtés ».

Telle est la situation sur fond de paysage de rêve à Ankoro, au confluent du fleuve Congo (Lualaba) naissant et de la rivière Luvua, au nord de la province du Katanga, dans le district du Tanganyika, où la peur d'affrontements entre les deux rives tenaille les habitants depuis octobre 1998 - date de la chute de Kabalo sur l'axe nord - et avril 1999 - chute de Manono et de Kiambi à l'est. C'est une population résidente et déplacée affaiblie et convaincue d'être injustement oubliée du monde qu'ont rencontrée samedi 20 mai 2000 les membres d'une mission conjointe de la coordination humanitaire des Nations Unies, du Ministre de la Santé de RDC, du Gouvernorat du Katanga, et d'ONG congolaises et internationales. Si moins de 7000 déplacés avaient pu trouver refuge en ville, environ 70,000 autres étaient éparpillés sur une superficie de plus de 20,000 km² entre les territoires de Kabalo et de Manono.

Interrogés sur leurs attentes les plus pressantes, les personnes déplacées ont naturellement réclamé des vivres et des soins, mais ont aussitôt ajouté : des semences et des outils, marquant ainsi leur souhait de sortir eux-mêmes de la dépendance grâce à un coup de pouce minimal, et leur réalisme face à la lenteur du processus de sortie de crise .

Cette mission humanitaire était la première à se rendre sur une localité de la ligne de front depuis le déclenchement du conflit en août 1998 en RDC. Son objectif essentiel, assurer un accès humanitaire régulier auprès des populations les plus démunies et les plus affectées par les effets du conflit, a été rempli non seulement à Ankoro, mais également, le lendemain 21 mai, à Malemba Nkulu, plus au sud. Dans cette ville carrefour d'environ 190,000 personnes entourée de 44,000 personnes déplacées, l'UNICEF, et Action Contre la Faim s'apprêtent désormais à lancer un programme nutritionnel conforté par une campagne de promotion de jardin potagers pour éviter la rechute des cas de malnutrition. Oxfam-Québec envisage de concentrer ses efforts dans l'assainissement des sites sanitaires et l'approvisionnement en eau. Enfin, un premier lot de 300 tonnes de vivres du Programme Alimentaire Mondial était arrivé à Malemba Nkulu le même jour, sans encombre, de Lubumbashi, au terme d'une saga logistique en train, camion et barge. Un comité de distribution a été placé sous la direction de Caritas, et connaîtra la participation des plus intéressées au succès et au principe d'équité de l'opération: les mères de famille déplacées et résidentes.

Parallèlement, la mission conjointe a pu s'assurer du degré de préparation des futures Journées Nationales de Vaccination 2000 destinées à éradiquer la poliomyélite à travers l'ensemble de la RDC en juillet, août et septembre prochains. Elle a apporté un franc soutien aux efforts des autorités sanitaires locales, d'Action Contre la Faim et de Médecins Sans Frontières dans la lutte contre la malnutrition et les épidémies de choléra au Katanga. Auparavant, un lot initial de deux tonnes de vivres du PAM avait pu être acheminé à Kananga (Kasaï Occidental), pour la localité de Demba, autre point sensible de la ligne de front. L'ONU intervenait ainsi à la suite du constat d'urgence établi par la délégation du Conseil de Sécurité venue en visite en RDC et dépêchée par l'Ambassadeur Richard Holbrooke à Kananga le 5 mai 2000. Enfin, OCHA, Agence organisatrice de la mission et l'ONG MEMISA ont positionné 6 tonnes de biens de secours non alimentaires et de kits médicaux à Lubumbashi pour Ankoro.

De fait, le constat de cette mission rejoint en tout point celui établi en octobre 1999, à l'occasion d'une mission à Nyunzu, localité proche mais située de l'autre côté de la ligne de cessez-le-feu : à savoir, une situation de malnutrition fréquente, d'éclatement des populations déplacées sur de larges territoires et de sévère dépression économique.

Depuis, les interventions se sont multipliées auprès des populations isolées et vulnérables, grâce notamment à un début de réponse des bailleurs de fonds à l'Appel consolidé lancé par le Système des Nations Unies à la fin 1999 pour la population de la République Démocratique du Congo. Il s'agit désormais de donner à cette démarche l'ampleur financière qui lui manque depuis des années, alors que l'affaiblissement des mécanismes de survie individuels et communautaires s'accélère, et que l'épuisement des familles congolaises face aux effets du conflit est patent à travers l'ensemble du pays. Les mécanismes de coordination, les capacités d'accès et de réponse rapide sont maintenant non seulement réels et mis en pratique de chaque côté de la ligne de cessez-le-feu, mais également appréciés par les autorités et les représentants de bailleurs de fonds.

Au delà d'un élan humanitaire à affermir, la seule réponse à la hauteur du problème réside dans une réelle matérialisation du processus de paix, à travers une reprise des flux économiques de part et d'autre du pays : seul le retour des pêcheurs et des barges sur le fleuve (et des marchandises sur les rails et les camions) donnerait à coup sûr à la jeune mère aux cheveux clairs d'Ankoro, ainsi qu'à ses frères et soeurs de l'ensemble de la RDC, le sentiment que leur admirable volonté de s'en sortir dans la tourmente actuelle, est comprise et respectée par tous.

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