Portraits de femmes congolaises

Afin de situer la discussion je voudrais expliciter le titre de ce document. Tout d'abord le Congo est un pays grand comme 80 fois la Belgique et on y parle 285 langues. La Femme Congolaise dans un ensemble aussi vaste et culturellement varié ne saurait recouvrir une réalité homogène. Il existe des différences essentiellement fonction de la classe sociale, de l'ethnie d'origine, du statut social et économique, du degré d'éducation ou même du fait qu'elle provienne d'un milieu rural ou urbain. Par conséquent, ce qui est valable pour la femme déplacée de l'Equateur est inapplicable pour l'intellectuelle de Kinshasa et devient totalement invalide pour la commerçante de Lubumbashi. Leurs réalités sont tout simplement différentes tout comme le sont leurs rêves et leurs aspirations.
Par ailleurs, les cultures africaines contrairement à la façon dont elles sont généralement perçues ne sont pas statiques et immuables. Elles sont en constant changement. Au Congo, si la guerre a accru le poids des difficultés pour les femmes elle a aussi été une occasion de transformation de leur statut et de leur rôle dans la société. La dynamique des relations au sein de la société, dans les familles est en constante mutation et il semble que la guerre ait accéléré ces transformations. Nombreuses sont aujourd'hui les femmes qui sont devenues chef de famille et qui sont la seule source de revenus dans la famille.

Les femmes représentent la moitié de la population congolaise. Elles contribuent de façon significative à l'économie de ce pays, même si cette contribution est en général ignorée par ce qu'elles interviennent surtout dans le secteur informel et dans le petit commerce.

Le choix de faire des portraits de femmes contrasté et varié permet de témoigner de l'hétérogénéité de leur condition. Leur donner la parole directement autorise à déceler dans leurs propos stimulants la façon dont elles négocient la rencontre entre leur vie de femme traditionnelle conditionnée par les normes sociales, les usages et coutumes de leur communautés respective et leur souhait de s'émanciper, de briser le carcan familial et social qui trop longtemps les a maintenus dans la soumission et la dépendance. Ces portraits dévoilent aussi que les femmes congolaises ne sont pas des observateurs passifs, mais au contraire, qu'elles essaient face aux difficultés économiques exacerbées par la guerre de s'adapter et de trouver pour elles et les siens des mécanismes de survie. Elles n'ont pas le luxe de baisser les bras ou de se laisser aller à des états d'âme. Elles sont les héros méconnus du Congo déchiré par 3 ans de guerre et par une crise économique sans précédent.

Quelques chiffres qui parlent d'eux mêmes

Taux de mortalité maternelle : 1837 décès pour 100.000 naissances
Taux de scolarisation :58%

Il faut accepter de payer le prix...

Je m'appelle FD et je suis magistrate. J'ai 35 ans et 4 enfants. Je suis une mère divorcée. Je rencontre beaucoup de difficultés dans l'exercice de mes fonctions et je sais que mes chances de promotion sont limitées. Au Congo, Il est rare qu'une femme soit chef de juridiction ou Présidente de tribunal. Le harcèlement sexuel est vécu quotidiennement. Celles qui cèdent et qui croient y arriver en s'offrant au chef, se déshonorent. Je pense que nous les femmes devons nous imposer par notre savoir et notre compétence.

Mon salaire est de 4500FC par mois. Ce n'est pas grand chose, mais j'aime mon métier. De mon bureau, à travers les dossiers des justiciables c'est la société congolaise que je vois évoluer.

Nous vivons une ère pleine de transformations, le vent du changement souffle et il faut savoir le saisir, le disséquer. Je considère quant à moi que l'essentiel c'est l'éducation, c'est ce qui permet aux femmes de pouvoir s'affirmer, d'être en mesure de s'exprimer et de revendiquer leurs droits. Il faut que nous puissions informer nos soeurs qui n'ont pas eu la chance d'avoir accès à l'éducation, qui vivent encore sou le joug de l'ignorance et à qui les Hommes disent « sois belle et tais toi ». Je refuse de vivre comme ma mère a vécu, soumise, passive, malheureuse et impuissante. J'ai divorcé par ce que je pense avoir droit au bonheur et au respect en tant qu'être humain. Mon mari me battait et me trompait constamment. Quand j'ai exprimé mon souhait de divorcer après 10 ans de mariage mon entourage m'a jugé sévèrement. « Mobali se mobali1», m'a ton dit. Certains hommes ont dit que je divorçais par ce que j'avais un amant. Paradoxalement, mes amies se sont méfiées de moi et ne m'ont pas soutenu, je devenais une rivale potentielle. Moi seule savais que je ne pouvais plus supporter de me voir niée en tant qu'être humain dotée d'une intelligence et d'une sensibilité. Aujourd'hui en tant que femme intellectuelle et divorcée je suis un paria et je me sens rejetée.

Beaucoup de femmes ne connaissent pas leurs droits, elles ne savent pas à qui s'adresser, à qui demander conseil lorsqu'elles rencontrent des difficultés dans leurs foyers. Lorsque contrainte et forcées elles divorcent, elles sont chassées de la maison conjugale et tous les biens reviennent au mari. Les lois existent pour les protéger mais les mentalités et l'ignorance les maintiennent dans des conditions oppressives. En outre, la dépendance financière des femmes limite leurs capacités de révolte. La misère a accru le pouvoir des hommes car eux ont accès au travail, à l'argent et au pouvoir.

Les hommes, ont gouverné de façon exclusive ce pays pendant 40 ans qu'en ont ils fait ? une ruine, ils nous ont laissé un pays en totale décrépitude. Peut être qu'ensemble nous pourrions faire mieux. La guerre nous a encore précipité dans une misère innommable. Pourtant je refuse que la guerre devienne un alibi, avant la guerre notre situation en tant que femme était tout aussi précaire. Notre revendication pour l'égalité et pour plus de considération et de reconnaissance de notre rôle dans cette société, nous devons la faire maintenant guerre ou pas guerre. L'Etat a souvent prétendu qu'il n'y avait pas d'argent pour construire des infrastructures sociales : des écoles pour nos enfants, des maternités o=F9 nous puissions accoucher en sécurité et pourtant dés que la guerre a éclaté ils ont dépensé des millions pour acheter des armes, des chars à canons avec lesquels nos fils et nos frères sont tués tous les jours. Mon frère est mort au front l'année dernière, à Mbandaka. Il avait seulement 19 ans. Il ne connaissait rien de la vie.

Les hommes sont nos pères, nos frères et nos maris ils doivent nous aider dans notre lutte et ensemble nous construirons une société plus juste et plus harmonieuse.

Mon avenir ? Je suis sure que le meilleur est à venir. Les hommes ne nous feront pas de cadeaux. Pourquoi renonceraient ils à leurs privilèges établis depuis des siècles ? Notre liberté nous devrons l'arracher. Si je ne me bats pas mes filles seront condamnées. Nelson Mandela et Martin Luther King ont payé de leur vie pour la liberté de leur peuple. Les femmes congolaises doivent accepter de payer le prix pour leur émancipation.

Le maraîchage m'a donné le sens de la liberté

J'ai arrêté mes études en 4éme primaire. Mes parents n'avaient plus les moyens de payer l'école pour mes 4 soeurs et mes 2 frères. Seuls les garçons ont pu poursuivre leur scolarité. Pourtant j'étais la plus brillante de tous. J'ai commencé à aider ma mère dans les travaux champêtres. A 15 ans, je suis tombée enceinte et je me suis mariée avec le père de mon fils. Il a été mon premier homme, il avait 30 ans et était infirmier. Autrefois, nous vivions à l'aise. J'ai 32 ans et 5 enfants, je crois que je n'en aurais plus la vie est devenue trop dure à Kinshasa. Cela fait des années que mon mari est payé de façon irrégulière. Il gagne 1500FC et ne les reçoit même pas tous les mois. Que voulez vous faire avec 1500FC par mois à Kinshasa? Comment manger, payer la scolarité des enfants et s'habiller? Je ne suis pas très instruite mais je veux que mes enfants aillent à l'école, ils pourront se débrouiller plus facilement et ne connaîtront pas la misère. Malgré les réticences de mon mari qui m'a menacé de prendre une seconde femme j'ai du me mettre à travailler. Au début il me fallait un capital, je n'avais pas d'économie et personne pour me prêter l'argent nécessaire. J'ai du vendre le seul bijou que mon mari m'avait offert à notre mariage et quelques pagnes que j'avais. Ce n'était pas grand chose mais c'était déjà un début. J'ai commencé par vendre des beignets et des boissons fraîches. Au bout de 6 mois j'avais assez d'économies pour me lancer dans le maraîchage. J'achète des légumes à Kisantu dans le Bas Congo et je les revends à Kinshasa. Je dois partir de chez moi à 4heures du matin car la route est longue et il faut arriver tôt pour avoir des produits frais.

Au début j'avais très peur car les militaires nous embêtent beaucoup. Plusieurs fois ils m'ont volé ma marchandise, mais maintenant je les connais, et je leur ramène de petits cadeaux. Ils savent que je suis une pauvre mère de famille qui essaie de faire vivre sa famille. Le commerce me permet de gagner de quoi nourrir et éduquer mes enfants. Je gagne plus d'argent que mon mari avec son travail de bureau. Depuis que je suis devenue commerçante j'ai senti que mon mari et ma belle famille me témoigne plus de respect. Il demande mon avis, ce qu'ils ne faisaient pas avant. Mon mari et moi décidons tous les mois des dépenses prioritaires. Je remercie Dieu de m'avoir apporté cette lumière. Jamais je n'aurais imaginé que moi Kinsala Mukelela, femme au foyer inculte je pourrais développer mon commerce et acquérir un peu d'indépendance.

Pour moi la liberté c'est de ne plus avoir à tendre la main pour demander l'argent des provisions tous les matins, c'est de pouvoir aider mon mari , et voir mes enfants heureux, c'est de pouvoir sortir le matin et affronter la vie, c'est être en mesure de participer aux dépenses du foyer.

Depuis quelques mois je participe à une association dans mon quartier. C'est une association de femmes. Nous parlons des problèmes de femmes, de nos enfants, de nos maris, de la santé et même de politique parfois. Je me sens bien par ce que je pense que d'autres femmes peuvent briser la pauvreté si elles osent sortir de leur foyer et prendre la vie à bras le corps. Il faut oser, ce n'est pas facile mais il faut oser...

Mon seul regret est d'être illettrée (analphabète). Ma fille me lit les nouvelles importantes dans les journaux, je suis fière d'elle.

Je m'en sors bien pour quelqu'un qui n'a pas fait de grandes études ne pensez-vous pas ?

Chercher du sel et du savon, c'est devenu comme si on se battait pour un visa ...en vue d'un voyage à l'étranger 2

Nous sommes les déplacées de guerre. Nous sommes des milliers de femmes déplacées, au Sud Equateur. Certaines d'entre nous ont marché plus de 200 Kms avec leurs bébés pour fuir cette guerre. Nos conditions de vie ici à Mondombe sont dures. Premièrement, nous sommes sous un climat équatorial o=F9 il pleut fréquemment et abondamment. Lorsque nous fuyons la guerre, nous nous levons aux premiers crépitements des balles des rebelles, n'emportant aucune valise, ni pagne, rien que ce qu'on a sur le corps ... Si vous étiez au champ, vous quittez précipitamment sans faire un tour au village récupérer les enfants, vous partez sans eux ou seulement avec certains d'entre eux, la famille est divisée en deux ... Une fois ici, vous ne savez pas vivre parce que tout a été laissé entre les mains des rebelles. Ils ont pris nos biens. Ils ont tout pris, même nos machettes, et ils les ont emportées pour aller les vendre quelque part, étant donné qu'ils sont impayés depuis tout ce temps. Nous manquons de tout. Nous n'avons pas de vêtements, pas d'abris pour nous protéger de la pluie et des intempéries, pas de casseroles pour cuire les feuilles de manioc pour nos enfants. Certaines d'entre nous sont parfois hébergées par des âmes charitables qui nous accueillent dans leur maisons. Mais nous représentons un poids pour eux car eux aussi ont des difficultés et il n'est pas facile d'accueillir des mères et leurs enfants.

Nous faisons cuire les feuilles de manioc en les emballant dans les feuilles de pommier. Sans casserole. Pour boire de l'eau, il faut remonter le fleuve ou un ruisseau pour se désaltérer directement, la bouche à la source, puis rentrer. Il n'y a pas de gobelet. Nous avons totalement oublié que l'assiette existe. Voilà dans quelles conditions de vie humiliantes et dégradantes nous les femmes déplacées de ce pays survivons malgré que nous sommes un pays indépendant. Toutes ces souffrances sont dues à la guerre. La mesure de sel est vendue ici à 20 FC et le savon à 150 FC. Chercher du sel et du savon, c'est devenu comme si on se battait pour un visa en vue d'un voyage à l'étranger. Or, nous sommes encore au Congo Démocratique. Nous souffrons ici, nous cherchons même comment avoir une machette pour faire des jardins potagers et assurer un peu d'autonomie pour la famille et aussi un peu de dignité.

Comment vont étudier nos enfants ? Quel avenir sera le leur ? Nous ignorons si le cahier et le stylo font encore partie de ce monde. ... Nous sommes mal à l'aise. Notre situation ici est très déplorable. Voilà tout ce que nous avions à dire, nous les femmes déplacées de guerre. Nous vous souhaitons de bonnes choses. Nous vous saluons et vous souhaitons bonne chance. Merci. Mon nom est Longo Bombendje à Mondombe.

Témoignages recueillis par Sylvie Dossou
Fonctionnaire chargée des affaires humanitaires
OCHA - République Démocratique du Congo

1 L'homme c'est l'homme. Cette expression sous entend que l'homme de tout temps a été supérieur à la femme et conserve toute autorité sur elle.

2 (Témoignage de Longo Bombendje, représentante des déplacés de guerre à Mondombe Sud Equateur receuilli par OCHA)