RDC: La menace de « l'Iturisation » du Sud Kivu inquiète les humanitaires

La pérennisation de la crise politique, mais surtout militaire, dans la province du Sud Kivu à l'est de la République Démocratique du Congo (RDC), pourrait entraîner une « Iturisation » de la zone et aggraver considérablement l'actuelle crise humanitaire.
Le mécontentement croissant de la population à l'égard des autorités politiques locales et la recrudescence de l'activisme d'une multitude de groupes armés ont détérioré depuis quelques mois un climat général déjà précaire.

Premières victimes de cette détérioration, les populations civiles. Prises en otage dans les différentes zones d'influence d'entités militaires disparates, elles n'ont d'autre choix que de subir les exactions des hommes en armes ou de s'exposer à la précarité lorsqu'elles ont la chance de les fuir.

Pillages des récoltes et des champs, viols, enlèvements de personnes, demande de rançons, arrestations arbitraires, perceptions de taxes illégales, déplacements de personnes deviennent une triste réalité pour une majorité d'autochtones dans cette région.

Dans le seul territoire de Walungu, la population de huit groupements sur les seize que compte le territoire, soit environ 226.000 personnes, subissent directement et quotidiennement le joug d'un groupe armé rwandais, le Front Démocratique de Libération du Rwanda (FDLR). A ce chiffre, il convient d'ajouter les populations de Nindja (Kabare) et de Burhinyi-Luhwinja (Mwenga). Leur nombre n'est pas connu avec exactitude. Indirectement les 650.000 habitants de la zone de Walungu sont menacés. Des milliers d'individus ont déjà préféré la vulnérabilité à la sécurité. Ils sont près de 10.000 à s'être réfugiés dans le stade de Walungu et ses alentours. Certains parmi eux y sont depuis six mois, sans espoir de pouvoir rentrer chez eux dans l'état actuel de la situation. D'autres encore sont accueillis dans des familles, elles-mêmes exposées à la précarité.

Le durcissement des actions FDLR serait une réaction à l'opération menée depuis plusieurs mois par les Forces Armées de la RDC (FARDC) et la MONUC en vue de les inciter à rejoindre volontairement le programme devant les rapatrier au Rwanda. L'éventualité d'une intervention militaire de l'Union Africaine visant à les désarmer par la force cette fois-ci, expliquerait encore cette escalade de violence à l'encontre des populations civiles, selon des analystes régionaux. Les FDLR sollicitent toutefois l'ouverture d'un dialogue inter rwandais, que Kigali a toujours refusé.

Ces rebelles ne sont pourtant pas les seuls à terroriser les civils. D'autres groupes, probablement liés de près ou de loin aux FDLR, sont tristement connus pour les horreurs qu'ils infligent aux populations, notamment les « Rastas » dans le groupement d'Ibanga. Menacés de représailles sévères en cas de fuite, les civils sont totalement abandonnés à l'arbitraire de ces bandes, ont témoigné ceux qui ont eu l'opportunité de s'échapper.

Les forces armées officielles et les entités militaires, qu'elles tentent d'intégrer dans la nouvelle armée ont également leur part de responsabilité dans cette crise humaine et humanitaire. L'absence de soutien logistique aux militaires et les irrégularités concernant le paiement de leur solde les conduisent ainsi à vivre sur le dos de la population avec tous les dérapages malheureusement communs en RDC en terme de violence sexuelle.

L'absence de confiance entre les chefs militaires dans le Sud Kivu, notamment entre les responsables FARDC de la 10ème région militaire et ceux des anciennes factions Mayï-Mayï rend le brassage de ces unités très hypothétique. Malgré les efforts de rapprochement manifestés à l'égard de ces factions par le Général Mbuza Mabe, commandant de la région, aucune d'entre elles n'a accepté pour l'heure de se soumettre au commandement en place. Une situation qui à terme pourrait aboutir à la dislocation de la structure militaire et à l'émergence de petits groupes armés autonomes, comme en Ituri. Outre les risques de voir échouer ce processus d'intégration et de porter une lourde hypothèque sur la situation sécuritaire future, les troupes actuellement cantonnées en vue de cette intégration n'ont d'autres choix que de piller et de terroriser la population, faute d'encadrement.

Ces zones de non droit caractérisées par une insécurité croissante perturbent, voire empêchent en certains endroits, les actions humanitaires alors que les besoins ne cessent d'augmenter. La présence de groupes armés oblige parfois les acteurs humanitaires à se déplacer sous escorte militaire. Ailleurs, l'espace humanitaire, comme dans le territoire de Walungu par exemple, est réduit autour du grand centre de la ville, chef-lieu du territoire.

Le statu quo de la situation actuelle, ou pis encore une dégradation du contexte militaire, entraînerait donc une crise humanitaire sans précédent dans la région ; l'insécurité empêchant toutes interventions humanitaires auprès des populations vulnérables placées à la botte d'hommes en armes.

Face à cette situation cependant, le premier souhait des civils demeure avant tout la sécurité. Des voix se sont élevées au sein de la population et ont remis en cause la capacité des FARDC à assurer la protection des civils. Nombreux sont ceux à avoir exprimé leur volonté de s'organiser dans des groupes d'auto-défense afin de garantir leur propre sécurité. Une telle mesure ne ferait cependant qu'ajouter à l'insécurité existante.

Du voeu légitime de la population à vivre dans la dignité et dans un environnement sécurisé, aux aspirations humanistes de la communauté humanitaire à soulager les souffrances des plus vulnérables, la situation dans la province du Sud Kivu appelle de la part de toutes les parties prenantes, une solution rapide et durable. « Il importe aujourd'hui, que les autorités locales et nationales, oeuvrant dans les domaines politiques et militaires, s'entendent sur un règlement pacifique et définitif des crises internes au Sud Kivu, au risque d'engendrer dans le cas contraire une catastrophe humaine difficilement maîtrisable », a expliqué Jahal de Méritens, chef du Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) en RDC.