RDC: L'action humanitaire en Ituri pourrait être menacée par la confusion des mandats

Les exactions dont sont victimes les organisations humanitaires au nord-est de la République Démocratique du Congo (RDC) pourraient à terme fortement troubler les opérations d'assistance. Le district de l'Ituri connaît en effet depuis plusieurs semaines une recrudescence inquiétante et constante de l'activisme de différents groupes armés.
Une dégradation de la situation sécuritaire

L'axe nord de Bunia a été hautement déconseillé aux acteurs humanitaires en raison de l'insécurité. Deux ONG internationales ont d'ores et déjà suspendu leurs activités après avoir été violemment prises à partie par des miliciens, sur les routes au sud et au nord de Bunia, le chef-lieu du district. Pour d'autres, les tracasseries imposées par des hommes en armes ont directement affecté le bon déroulement de leur programme.

Des organisations se sont ainsi notamment vues confisquer pour un temps des véhicules, interdire l'accès à des personnes vulnérables ou piller l'aide humanitaire. Des missions d'évaluation et d'assistance ont dû être annulées. Des exactions de plus en plus nombreuses sont aussi commises à l'encontre des ONG locales et de leur personnel.

Une dangereuse extension du mandat humanitaire

Toutefois, si les actes de banditisme concernent indifféremment les populations civiles, les commerçants et les ONG internationales ou locales, d'autres faits répréhensifs visent spécifiquement la MONUC (la Mission d'Observation des Nations Unies en RDC), son personnel local ou les travailleurs humanitaires locaux impliqués dans la mise en œuvre du plan de Désarmement et de Réinsertion Communautaire (DRC).

Le DRC ne parait pas, pour le moment, emporter l'assentiment de tous les éléments des groupes armés de l'Ituri. Ce rejet expliquerait en partie la multiplication des incidents sécuritaires.

Ce projet prévoit en effet le désarmement des groupes armés en Ituri et leur réintégration dans la société. La réintégration des miliciens dans l'armée réunifiée n'y était pas envisagée à l'inverse du Plan National de Démobilisation Désarmement et Réinsertion (PNDDR). L'absence de ce volet s'explique par le fait que ces groupes armés n'avaient pas participé aux accords de Sun City qui ont eu lieu en décembre 2002.

Seuls 651 miliciens ont donc choisi jusqu'à présent de se soumettre à ce DRC dont l'objectif est de désarmer 9.000 combattants. Certains autres préfèrent attendre le décret présidentiel autorisant l'intégration dans l'armée de cinq officiers et de 50 hommes issus des milices. D'autres encore, n'y trouvant pas leur compte, manifestent leur désapprobation par les armes. Le nombre de postes offerts au sein de l'armée par le gouvernement de Transition peut en effet apparaître comme négligeable par rapport aux effectifs avancés par les groupes armés, malgré une probable surestimation des hommes de leur part. Le FNI compterait ainsi 20.000 hommes ; l'UPC, 8.000 ; les FAPC, 6.000 et le PUSIC, 5.000, selon leurs sources.

Ces dissensions autour du DRC entretiennent par ailleurs un climat de terreur. Les échanges de tirs deviennent courants entre les miliciens et la MONUC. Des soldats désireux de se désarmer se font tuer ou molester lorsqu'ils tentent de rejoindre les sites de transit. Le personnel humanitaire local dans ces lieux de rassemblement est lui aussi accusé de traîtrise et menacé.

Les événements de Nizi en donnent une illustration. Les affrontements de la semaine dernière entre l'UPC et la MONUC à proximité du site de transit ont traumatisé le personnel humanitaire local y travaillant. Certains d'entre eux ont été évacués sur Bunia.

Une identité humanitaire dénaturée

Au-delà de la sécurité de ces personnes, se pose la question de la participation d'une organisation humanitaire à un projet impliquant des hommes armés et conduit à des fins politiques. La distinction fondamentale entre le combattant et le civil, délimitant le champ d'action des organisations humanitaires, ainsi que les principes d'indépendance, d'impartialité et de neutralité qui leurs sont propres ont été clairement exprimés par la communauté humanitaire à la fin de l'année dernière1. Dans le cas contraire une telle situation risquerait d'aboutir à un résultat humanitaire diamétralement opposé à celui recherché.

Compte tenu de la distinction soldats / civils, une intervention humanitaire ne devrait ainsi s'opérer dans un plan de DDR ou de DRC qu'à la phase de réinsertion, de manière à respecter le champ de compétence dessiné par les textes internationaux de base.

De plus, l'hypothèse d'un échec de ces plans où les ex soldats démobilisés réintégreraient une unité combattante après avoir reçu une assistance humanitaire dans un site de transit, remettrait inévitablement en cause la neutralité et l'impartialité des humanitaires.

Enfin, une participation des humanitaires à un projet défendant des intérêts politiques, aussi louables soient-ils, est souvent contradictoire à l'indépendance dont se réclame les humanitaires. Cette déviation de leur mandat entretient de surcroît une confusion et pousse à un amalgame dangereux entre mission militaire et action humanitaire. Les attaques devenues courantes à l'encontre de la MONUC dans le district de l'Ituri pourraient ainsi contaminer les organisations d'assistance, comme cela avaient été le cas sur l'ensemble du territoire national au mois de juin lors des événements de Bukavu.

L'Ituri a renoué avec un cycle de violence au milieu duquel se trouvent les populations civiles et ceux qui tentent de les soutenir. La continuation de l'assistance aux personnes les plus vulnérables affectées par les conflits dépendra de la capacité des acteurs humanitaires à maintenir leur présence dans cette zone.

Un plaidoyer actif sur la réaffirmation de l'identité humanitaire doit être poursuivi auprès des chefs des groupes armés. Ces campagnes, menées par les humanitaires, permettront à ces derniers de recouvrer la liberté de mouvement et la sécurité nécessaires à leurs opérations. Incidemment, l'explicitation de la nature spécifique du mandat humanitaire contribuera à éviter toute confusion dont les conséquences seraient malheureuses.

Note:

1 Voir le document « Liens entre la stratégie de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) et le Plan Commun d'Action Humanitaire en République Démocratique du Congo ».