RDC: Les sources d'instabilité dans les Kivu requièrent une vigilance de la communauté humanitaire

Les crises dans le Sud Kivu se succèdent et se ressemblent. Les événements de Bukavu en mai/juin, d'Uvira en septembre et en octobre, de Bukavu encore aujourd'hui ont un dénominateur commun reliant ces crises entre elles: l'acceptation des communautés congolaises à vivre ensemble pacifiquement.
La première a été la prise de Bukavu par deux officiers insurgés partis en croisade pour protéger selon eux la communauté Banyamulenge victimes d'exactions. La deuxième est née du retour mouvementé, à Uvira, d'une partie de cette même communauté réfugiée au Burundi à la suite des combats résultant des événements de Bukavu. La troisième a des impressions de déjà vu et concerne les tentatives actuelles de retour à Bukavu de ces mêmes réfugiés en provenance cette fois-ci du Rwanda.

Depuis le mois de mai, la communauté internationale a déployé, à chaque fois, des moyens considérables afin de contenir ces tensions et éviter un embrasement de la région. Les récents développements à Bukavu ont une fois de plus montré l'efficience de cette capacité internationale à tempérer les ardeurs des uns et des autres.

Près de 1200 réfugiés désirent en effet quitter Cyangugu au Rwanda et revenir en RDC malgré la vive hostilité manifestée par la population. Dans un climat général d'exclusion ethnique de plus en plus exacerbé, des messages de haine ont circulé au sein de la population. Cette dernière a été appelée à jeter des pierres sur les réfugiés s'ils tentaient de revenir. Une pétition anti-Banyamulenge signée par certains habitants de Bukavu a également été diffusée.

Dans ce contexte défavorable à tout rapatriement spontané, la multiplication des pressions de la communauté internationale a permis de repousser pour un temps les opérations de retour programmées initialement le 11 novembre dernier. Ce délai devrait permettre aux autorités de préparer les populations locales à ces nouvelles arrivées et régler les difficultés annexes, parmi lesquelles, les occupations foncières illégales ou l'occupation de postes professionnels par d'autres personnes.

Cette succession de crises depuis le mois de mai pose légitimement la question de savoir combien de temps encore les actions de la communauté internationale permettront de désamorcer ces tensions alimentées par des embûches d'origines diverses.

D'importants rassemblements d'hommes appartenant aux Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) ont été constatés dans la plaine de la Ruzizi. Des mouvements de certaines unités ont également été signalés vers le nord, dans les Hauts Plateaux, autour de Ngongo à proximité de la frontière rwandaise, et dans le Lubero. Cette recrudescence de l'activisme FDLR n'est pas anodine. Elle s'expliquerait par leur volonté d'obtenir l'ouverture d'un dialogue inter rwandais dans leur pays et de peser comme une force politique d'opposition au cours de la conférence des Grands Lacs prévue les 19 et 20 novembre 2004 à Dar es Salaam en Tanzanie, selon des analystes régionaux.

L'insécurité causée par ces groupes, et celle résultant d'autres groupes armés opérant notamment dans le territoire de Walungu, a conduit les Forces Armées de la RDC (FARDC) avec le soutien de la MONUC à débuter cette semaine une opération dans cette zone. Le premier objectif de cette opération est de « mettre fin aux violations graves des droits de l'Homme dont sont victimes les populations civiles de Walungu en les protégeant contre les bandes armées qui agissaient auparavant en toute impunité... », a affirmé le porte-parole de la MONUC. Les exactions commises par ces groupes ont en effet plongé les populations dans une situation humanitaire critique et rendu l'accès humanitaire difficile en raison de l'insécurité.

Le second objectif consiste à « sensibiliser, essayer de convaincre et persuader, les groupes armés étrangers à choisir l'option du désarmement volontaire grâce au programme DDRRR (Désarmement, Démobilisation, Rapatriement, Réinstallation et Réinsertion. « La MONUC les invite à saisir cette dernière chance », a ajouté le porte-parole selon le communiqué officiel.

Le retour de la sécurité dans la sous-région dépend en partie de la réussite de cette opération militaire. Force est également de constater, que les efforts de stabilisation se focalisent, à juste titre, sur le Sud Kivu en général et sur Bukavu en particulier.

L'expérience montre toutefois, que les crises dans la région des Grands Lacs éclatent là où elles sont le moins attendues, ce qui rend difficile leur prévention et la mise en place de plans prévisionnels par les organisations humanitaires pour y répondre.

Les regards de la communauté humanitaire se tournent non seulement vers Bukavu, mais également vers le Nord Kivu affecté par des tensions liées à l'intégration de l'armée (à Kanyabayonga, Walikale, Masisi, ou encore Sake ou Minova dans le Sud Kivu), sur l'insécurité grandissante dans la ville de Goma, la recrudescence des activités des groupes armés étrangers, ainsi que vers le Burundi. Ce pays traverse une phase d'instabilité. Les élections devant mettre fin à trois ans de transition ont été repoussées de six mois. Une constitution temporaire a été adoptée du bout des lèvres par des partis politiques. Le vice président de la République, Alphonse Kagede vient d'être limogé par le président Ndayizeye. Les débordements que pourraient engendrer la confusion et la perte de confiance découlant de ces changements pourraient affecter les Kivu en RDC.

L'insécurité de la sous-région requiert de la part des humanitaires une vigilance de tous les instants afin de mieux répondre aux crises pouvant surgir à n'importe quel moment. Ces dernières, par un effet de domino, réduiraient drastiquement l'accès humanitaires aux populations vulnérables dont le nombre pourrait s'accroître encore.